Plusieurs célébrations ont eu lieu dans notre paroisse à l’occasion du 100ème anniversaire de l’armistice de 1918. Occasion de se rassembler aussi bien à l’église qu’au monument aux morts. Elus, anciens combattants, porte-drapeaux, harmonie, sapeurs-pompiers : chacun a pu trouver sa place. Nous avions choisi, au début des célébrations, de publier une lettre magnifique d’un soldat à son épouse. La voici, dans sa radicale fraîcheur et son souffle bienfaisant.
Chère petite Aimée, je suis fort surpris de t’entendre parler
comme tu le fais au sujet du Prussiens, toi qui as du cœur.
Certes ils ne sont pas tous bons ; il y en a qui sont de vrais bandits.
Si tu voyais les maisons où ils passent.
Moi-même, tout en étant habitué, j’en frissonne d’horreur
et le cœur me saigne en pensant aux pauvres ouvriers
qui ne retrouveront rien de tout ce qui est leur unique avoir.
Mais il y a des Français qui sont aussi lâches car ils finissent tout ce qui reste.
Ne dis pas « ces mauvais Allemands ».
Certes ce sont eux qui sont la cause de nos souffrances
mais ils sont forcés par les chefs qui les contraignent à le faire.
Mais les chefs du pouvoir ennemi, eux, oui, sont maudits par leurs hommes et nous-mêmes.
Mais ces pauvres pères de famille,
nous en avons fait prisonnier un l’autre jour qui a huit enfants en bas âge,
ces adolescents de 17 ans que l’on envoie sur le champ de bataille,
ces jeunes maris qui laissent une femme aimée au pays,
ceux-là ne doivent pas s’appeler les maudits
car ils ont coûté bien des larmes à leurs mères qui ont tant peiné pour les élever
et qui ont coûté aussi cher que nous à mettre au monde.
D’ailleurs le bon Dieu qui est bon ne les aime-t-il pas tous autant que nous ?
Il ne nous a pas créés de race inférieure à l’autre et nous sommes tous aussi chers à son cœur.
Aussi, si par moments en voyant tout le mal qu’ils font,
je me révolte publiquement, j’entends aussitôt une voix intérieure qui me dit :
« Fais le bien pour le mal, sois meilleur qu’eux »
et je reprends mes sentiments naturels
et je les plains en pensant aux responsabilités qu’ils auront plus tard.
Si je fais la guerre, je veux la faire honnêtement et sans ressentiments.
Si je me bats, c’est pour ne pas laisser égorger mes frères,
pour les aider puisqu’on nous attaque.
Je le fais de grand cœur et le plus simplement du monde
cherchant à m’effacer le plus possible sans jamais me dérober à aucune difficulté.
D’ailleurs, mes chefs ont dû le remarquer,
c’est pour cela qu’ils m’ont choisi pour les misions excessivement graves
et ont l’air d’avoir une certaine confiance en moi.
J’en suis touché, mais n’en tire aucune vanité puisque c’est mon Devoir.
Ne hais pas les Boches, prie pour eux.
Le Denen (28 octobre 1915)
